Lucie Davoine publie les résultats d’une recherche comparative sur la qualité de l’emploi au sein de l’Union Européenne (accessible ici malheureusement en anglais). Les données qu’elle analyse aboutissent à une carte de la qualité des emplois et une classification des pays en trois groupes : les emplois seraient de bonne qualité au Royaume Uni et dans les pays nordiques, de mauvaise qualité dans les pays du Sud, l’Europe continentale (Allemagne, France, Pays Bas) se retrouvant en position intermédiaire.

Dans ma note du 4 mai dernier présentant une étude anglaise de David Guest et Michael Clinton, je mentionnais la conclusion des auteurs : à l’heure ou l’Union Européenne voudrait rapprocher les conditions d’emploi des temporaires de celles des permanents, le besoin de protection serait plus urgent à satisfaire chez les permanents que chez les temporaires. Je donnais ce commentaire : au vu de la situation britannique (caractérisée en particulier par de très long horaires de travail), on comprend mieux que les auteurs recommandent d’améliorer en priorité la qualité de l’emploi, et en particulier de réduire la durée du travail: leurs résultats témoignent clairement en effet que ce sont ceux qui doivent effectuer de longues durées de travail qui manifestent la plus forte insatisfaction au travail.

Alors comment qualifier la qualité de l’emploi au Royaume Uni : bonne ou mauvaise ? Les conclusions des deux études sont-elles en parfaite contradiction ? Apparemment oui, mais à quelques détails d’importance près. Le travail de Guest et Clinton n’est pas comparatif au plan international, il reste dans le cadre national britannique et compare les permanents aux temporaires britanniques. Il s’intéresse au sentiment de bien être dans le travail et face à l’insécurité d’emploi, avec des indicateurs de satisfaction des salariés en matière de santé, de comportements dans le travail, de relations personnelles à l’organisation du travail. Le travail de Lucie Davoine s’intéresse à bien d’autres dimensions de la qualité d’emploi. Ses indicateurs de qualité incluent ainsi les dimensions de rémunération et de pauvreté, de formation, qualification et déroulement de carrière, d’égalité entre les genres, d’hygiène et de sécurité au travail, d’insertion et d’accès au marché du travail, d’organisation du travail et d’équilibre entre travail et vie familiale et personnelle, de dialogue social, de performance au travail et de productivité. Enfin les sources statistiques utilisées ne sont en rien comparables.

Il reste à comprendre comment le modèle anglais, si décrié par les uns au vu de la forte précarité des emplois qu’il propose et des très longues durées de travail qu’imposent les emplois à temps plein, peut être néanmoins caractérisé par une bonne qualité d’emploi. Lucie Davoine ne cache pas que ses résultats mettent dans le même paquet le Royaume Uni et les pays scandinaves, que pourtant de très nombreux travaux distinguent. Elle rappelle cependant que les indicateurs d’emploi convenable (« decent work ») utilisés par le Bureau international du travail (GHAI, D., 2005, « Decent work: Universality and Diversity », ILO Discussion Paper, n° 159) accordent une bonne performance au Royaume Uni, bien supérieure à celle de la France. Elle suggère alors que la tertiarisation particulièrement forte au sein du groupe des pays du Nord peut jouer son rôle puisque l’on peut penser que les emplois tertiaires proposent de meilleures conditions de travail que les emplois industriels. Elle suggère surtout qu’entre les groupes de pays (Nord, Europe continentale, Sud), les modalités très différentes des cultures et des structures familiales et de l’emploi féminin, peuvent peser de façon décisive sur les résultats de son étude.

Davoine L. (2006), « Are quantity and quality of jobs correlated? Using, interpreting and discussing the Laeken indicators », Noisy-le-Grand, Centre d’Études de l’Emploi, document de travail, n° 59, document pdf, 28 p.